La scène en version originale
ISBN : 979-10-231-0238-3
Collections : e-Theatrum mundi
Date de publication : 01/12/2015
Format : 14,5 x 21 cm - PDF
Nombre de pages : 172
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[fr]

Appliquant à la scène théâtrale un concept cinématographique, cet ouvrage s’interroge sur les modalités des spectacles non traduits, présentés au public dans toute l’étrangeté de leurs gestes et de leurs voix d’origine. Alors que fleurissent les travaux consacrés à la traduction théâtrale, le Programme de recherche interdisciplinaire sur le théâtre et les pratiques scéniques (PRITEPS) a choisi de se pencher, avec ce volume, sur le phénomène inverse : celui d’un théâtre joué pour une salle dont la langue n’est pas celle du spectacle, en revendiquant cette altérité comme part de l’expérience esthétique. Des troupes italiennes conviées dans toutes les cours d’Europe aux comédiens chinois reçus pour les expositions universelles, les cas d’études abondent, invitant à explorer le fonctionnement, la réception et l’influence de ces spectacles.

Délibérément interdisciplinaire, cet ouvrage collectif croise les pratiques, les langues et les approches pour enrichir la réflexion théorique par la comparaison. À partir d’exemples très divers – spectacles en langue exotique ou régionale, scènes historiques ou création contemporaine – les articles interrogent la transmission du spectacle au-delà des mots. Découverte de l’Autre, élitisme culturel, ou voyeurisme de l’étrange ? Perception ancrée dans la musicalité de la langue, ou dans la gesticulation des corps ? Les textes réunis ici analysent aussi bien la spécificité des spectacles en version originale que les institutions qui les accueillent, la sociologie des publics, et les choix de surtitrage. Ils dessinent, au fil de l’analyse, l’image d’une expérience théâtrale aussi fertile que déconcertante, enracinée dans le sensible, et concentrant toute l’attention sur la puissance du rythme, la délicatesse du geste et la résonance de la voix.

[en]

The idea of a dialogue heard “in its original language” is usually applied to film. This book applies it to theatre, and explores the workings of untranslated shows, performed in all the foreignness of their original voices and gestures. The question of translating for the stage is currently giving rise to much academic discussion, but the stage and theatre research programme at Paris-Sorbonne (PRITEPS) has here chosen to focus on the reverse phenomenon, and to examine the performance of plays before audiences whose language is not that of the actors, putting this linguistic otherness forward as part of the aesthetic experience. From the travels of the Italian companies welcomed throughout the courts of Europe to those of the Chinese actors invited to the World’s Fairs, there is no dearth of examples, whose specificity, reception and influence call for in-depth study.

This interdisciplinary collection of articles brings together various approaches, cultures and languages, in a comparative perspective. Using a wide array of case studies – exotic or regional, historical or contemporary – the chapters investigate what comes across, beyond language, in the theatre. Do the spectators find themselves turned into discoverers, cultural elitists, or even voyeurs? Is their understanding of the show rooted in the music of the words, or the gesticulation of the bodies? The papers gathered in this volume explore the distinctive features of foreign-language shows and inquire into the institutions where they are performed, the sociology of their audiences and the question of surtitles. From one chapter to the next, they gradually define a theatrical experience that is as fertile as it is disconcerting – anchored in sensory perception, and concentrating the spectator’s attention entirely on powerful rhythms, delicate gestures, and echoing voices.

Avant-propos · JULIE VATAIN-CORFDIR

 

PARTIE I
LES PRÉCURSEURS

Geste et parole chez les acteurs italiens en France (XVIe-XVIIe siècles) · CHARLES MAZOUER

L’activité parisienne des comédiens italiens entre 1600 et 1622 · SANDRINE BLONDET

Pratique et réception du jeu italien à Paris au commencement du XVIIIe siècle (1716-1718) · ALESSIA GENNARI


PARTIE II
LANGUE RÉGIONALE ET LANGUE EXOTIQUE :
UN PRINCIPE DE CRÉATION THÉÂTRALE

Théâtre et occitan à la cour de France (XVIIe-XVIIIe siècles) : de Monsieur de Pourceaugnac à Daphnis et Alcimadure · BÉNÉDICTE LOUVAT-MOLOZAY

Sophoclean television: Electra without subtitles on ITV in 1962 · AMANDA WRIGLEY

De la « Rose de Nankin » à Cheng Yanqiu : les acteurs chinois sur la scène française (1850-1950) · SHIH-LUNG LO

 

PARTIE III
LE RAYONNEMENT ÉTRANGER DU THÉÂTRE EN LANGUE FRANÇAISE

Théâtre de l’Hermitage : des proverbes dramatiques en français pour la cour de Catherine II de Russie · VALENTINA PONZETTO

La troupe française du théâtre Mikhaïlovski dans la vie théâtrale russe au XIXe siècle · PASCALE MELANI

Before Jacques Copeau: The Théâtre français d’Amérique of New York, 1913-1917 · MECHELE LEON


PARTIE IV
PRATIQUES LINGUISTIQUES SUR LA SCÈNE CONTEMPORAINE

Le théâtre espagnol alternatif : l’avènement d’un lieu de métissages polymorphes et synergiques · BÉATRICE BOTTIN

La pratique de la version multiple dans le monde théâtral néerlandophone · ANAÏS BONNIER

Le Silence et La Menzogna. Réflexion sur la réception française des spectacles de Pippo Delbono · SUZANNE FERNANDEZ

Charles Mazouer, « Geste et parole chez les acteurs italiens en France (XVIe-XVIIe siècles) »

Pendant un siècle et demi, les spectateurs français ont pu admirer les productions de la commedia dell’arte grâce aux troupes italiennes, d’abord de manière sporadique depuis les années 1570, puis de manière permanente, du début du règne de Louis XIV à leur renvoi en 1697. Ces productions sont examinées à un triple point de vue. Quant au jeu avec les langues, d’abord : de manière variée au fil du temps a fonctionné un bilinguisme franco-italien, savoureux. Ensuite et surtout, est analysée la place du geste, du corps de manière générale, dans un théâtre largement improvisé et donc fondé sur le physique de l’acteur (lazzi ; jeux avec les objets). Enfin, comment réagit le public français à ces spectacles ? Point trop gêné par le bilinguisme, mais fasciné par les acteurs comiques, le public français eut tendance à cantonner les Italiens de la commedia dell’arte dans le grotesque et le bouffon. En tout état de cause il se régalait de la fantaisie et de la gaîté de ce théâtre.

For a century and a half, the French audience was able to attend the commedia dell’arte productions of visiting Italian companies – at first, sporadically, from the 1570s onwards, and then on a more permanent basis, from the beginning of the reign of Louis XIV to 1697. This article explores such productions from three points of view. First, I look at the interplay of languages, to show that, over time, a form of Franco-Italian bilingualism was successfully – and deliciously – implemented. Then, and most importantly, I analyse the role of gestures, and of the body in general, in a form of theatre which is based on improvisation and therefore on the actor’s physicality (through lazzi, the use of objects, etc.). And thirdly, how did the French audience react to those shows? Not particularly rebuffed by the language, and fascinated by the comedy, French spectators tended to limit the powers of the Italian actors to the realms of the grotesque and the farcical. At any rate, they delighted in the fanciful and cheerful quality of the productions.

 

Sandrine Blondet, « L’activité parisienne des comédiens italiens entre 1600 et 1622 »

Entre 1600 et 1622, les prestigieuses compagnies théâtrales affiliées au duc de Mantoue effectuent quatre tournées parisiennes, qui les conduisent des lieux de séjour de la cour à la scène de l’Hôtel de Bourgogne. En parallèle, d’autres comédiens italiens, qui semblent durablement établis en France, mènent une activité dont la précarité les rapproche de leurs confrères français. Alors que la langue italienne pouvait constituer un obstacle pour le public parisien, l’étude dramaturgique, historique et sociologique de leur présence à Paris montre qu’il n’en est rien. La confrontation de tous ces comédiens finit par rétablir la frontière, de manière inattendue, non pas entre Français et Italiens, mais entre les membres internationalement connus des compagnies ducales, forts de l’estime des Grands, et leurs obscurs homologues, français et italiens réunis, dépourvus de tout patronage, dont l’entreprise théâtrale se heurte aux aléas du quotidien.

Between 1600 and 1622, the prestigious theatre companies sponsored by the Duke of Mantua toured in Paris on four occasions, performing both at court and on the stage of the Hôtel de Bourgogne. Their financial ease contrasted with the precarious conditions of other actors in France, both Italian and French. One might think that the use of Italian could have represented an obstacle for the Parisian audience. But the historical, dramaturgical and sociological study of the Italian actors’ activity in Paris shows that their professional practice depended much more on whether they had a patron or not. In the end, average Italian actors established in Paris had more in common with their local fellow actors than with members of the Dukes’ companies who enjoyed international fame and the esteem of the great.

 

Alessia Gennari, « Pratique et réception du jeu italien à Paris au XVIIIe siècle (1716-1718) »

À la réouverture de la Comédie-Italienne en 1716, l’Hôtel de Bourgogne devient, pour Paris, la scène du théâtre en langue étrangère (italienne). Ce théâtre en version originale éveille, d’abord, l’enthousiasme du public, comme en témoignent les sources contemporaines. Les spectateurs sont attirés non pas par la valeur littéraire des pièces, mais par la musicalité de la langue et surtout par l’habileté extraordinaire des acteurs, représentants de la tradition de la commedia dell’arte. Au fil des deux premières années d’activité, cependant, la barrière linguistique lassera progressivement le public et mettra fin à cette expérience de théâtre en version originale, laissant place à un processus de francisation du répertoire de la troupe, qui commencera en 1718, avec la mise en scène de la première comédie entièrement écrite en langue française, Le Naufrage au Port-à-l’Anglais.

When the Comédie-Italienne reopened in 1716, the Hôtel de Bourgogne became the main stage for foreign-language theatre in Paris. At first, these performances in Italian roused the spectators’ curiosity, as contemporary sources attest. The audience was attracted, not by the literary quality of the plays, but by the musicality of the language and, most of all, by the extraordinary skill displayed by the actors, in the commedia dell’arte tradition. In the space of two years, however, the language barrier seems to have gradually worn down the audience’s interest, leading to the end of this foreign-language theatre experiment, as the repertoire for the company grew more and more French – its first comedy written entirely in French, Le Naufrage au Port-à-l’Anglais, was staged in 1718.

 

Bénédicte Louvat-Molozay, « Théâtre et occitan à la cour de France (XVIIe-XVIIIe siècles) : de Monsieur de Pourceaugnac à Daphnis et Alcimadure »

S’il y eut, tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles, un théâtre recourant exclusivement ou partiellement à l’occitan, il resta essentiellement cantonné aux territoires dans lesquels il fut composé, même s’il put avoir des spectateurs extérieurs… à commencer par Molière. Dans Monsieur de Pourceaugnac (1669), comédie-ballet créée devant la cour à Chambord, il insère deux scènes en occitan, auxquelles succède une scène en picard. En 1754, et dans le contexte de la Querelle des Bouffons, Mondonville, maître de musique de la Chapelle du roi originaire de Narbonne, écrit la musique et le livret d’une « pastorale languedocienne », créée à Fontainebleau devant Louis XV et interprétée par des chanteurs également méridionaux. Que signifie, dans ces deux cas, le choix de l’occitan pour un public essentiellement francophone ? Quelles sont, par ailleurs, les stratégies utilisées par les auteurs pour faciliter sa compréhension ou souligner son étrangeté ?

A theatre composed exclusively or partially in Occitan did exist during the 17th and 18th centuries, but it mostly remained confined to the territories in which it had been composed, though it occasionally had external spectators, such as Molière. In Monsieur de Pourceaugnac (1669), a comédie-ballet played for the first time at court in Chambord, he inserts two scenes in Occitan, and one in Picard. In 1754, and in the context of the “Querelle des Bouffons”, Mondonville, Master of music of the Chapelle du Roi, and a native of Narbonne, writes the music and libretto of a “Languedoc pastoral” (“pastorale languedocienne”), played for the first time at Fontainebleau in front of Louis XV and sung by singers who were also from the South. What are the implications, in both cases, of choosing Occitan for a predominantly francophone audience? Moreover, what strategies are used by the authors to facilitate its understanding or emphasize its foreignness?

 

Amanda Wrigley, « Sophoclean television: Electra without subtitles on ITV in 1962 »

En 1962, la chaîne de télévision commerciale du Royaume-Uni diffusait, en grec moderne et sans sous-titres, une version filmée en studio de l’Électre de Sophocle, mise en scène par Dimitris Rondiris et interprétée en tournée internationale par le Peiraïkon Theatron. Contre toute attente, ce fut un succès retentissant. Cet article explore les modalités de ce succès, à la fois parmi les 2,5 millions d’auditeurs et auprès des critiques de presse, à la lumière d’une question cruciale : celle de la barrière linguistique. On s’intéressera notamment à la beauté, à l’intensité, à l’émotion perçues comme émergeant de l’expressivité des chorégraphies, et de la musicalité du grec chanté et parlé. Cette étude aborde également l’importance décisive des autres modes de communication, plus prosaïques, utilisés pour transmettre au public quelques informations essentielles sur les personnages et l’action de la pièce.

In 1962, the commercial television networks in the UK transmitted a studio presentation of Dimitris Rondiris’ internationally touring stage production of Sophocles’ Electra, performed by the Peiraïkon Theatron in modern Greek and without subtitles. It was, unexpectedly, an extraordinary success. This essay explores some of the terms in which Electra was considered to have been such a huge success amongst both the 2½ million viewers and numerous critics writing in the press, in light of the obvious language barrier for most of the audience. Qualities as beauty, intensity and emotion were, for example, cited as emerging from the perceived expressivity of performative elements such as choreography and the musicality of spoken and sung Greek. The essay also discusses the crucial importance of other, more prosaic, communicative modes to convey to the potential audience basic information about the play’s characters and its action.

 

Shih-Lung Lo, « De la “Rose de Nankin” à Cheng Yanqiu : les acteurs chinois sur la scène française (1850-1950) »

Suite à la guerre sino-anglaise de l’opium (1838-1842) et à l’ouverture chinoise de l’après-guerre, les Chinois (y compris les acteurs de théâtre), qui n’étaient pas autorisés à quitter leur pays, se rendent de plus en plus à l’étranger. En raison de la langue qu’utilisent les acteurs chinois – itinérants ou invités – le « répertoire » connu des spectateurs français reste souvent dans le registre de l’exotisme. Les témoignages des contemporains, quoique assez rares, nous permettent de retracer la conceptualisation de cet exotisme chinois et son passage vers un art apprécié par les artistes du XXe siècle. Dans cet article, nous essayons d’initier une enquête historique, de résumer les spectacles donnés par les Chinois au long de l’époque étudiée (1850-1950), et d’analyser les influences apportées par les comédiens chinois.

Due to its defeat in the First Opium War (1838-1842), the Chinese empire was forced to open its doors to the West. Chinese people, who had been strictly prohibited from leaving their country, began to move to foreign lands for commercial reasons. Theatre performers were also “exported” to the Western world. For most Western audiences who didn’t understand Chinese, however, their performances were usually considered as nothing more than exotic shows. Throughout the first half of the twentieth century, as more and more actors of Chinese opera were presented on European stages, the Chinese theatre came to be appreciated as a real art. In this article, I try to conduct a historical survey in order to retrace the Chinese actors’ activities from 1850 to 1950. With the help of recently published documents and archives, I also examine their interaction with local French artists and audiences.

 

Valentina Ponzetto, « Théâtre de l’Hermitage : des proverbes dramatiques en français pour la cour de Catherine II de Russie »

Le Théâtre de l’Hermitage est un recueil comprenant 23 pièces, dont 17 proverbes dramatiques, composées par Catherine II de Russie et par quelques dignitaires de sa cour en 1787-1788, et jouées sur le théâtre du même nom. Le recueil est d’abord analysé dans la perspective de la vogue des théâtres de société. Sont ensuite considérés le choix du français comme langue de composition et celui du proverbe dramatique comme genre privilégié. Sont enfin étudiés les traits caractéristiques de ces pièces : la critique des mœurs, qui vise à instruire et moraliser le spectateur tout en l’amusant ; une intertextualité ludique, ayant pour référent la tradition classique française de Molière à La Fontaine ; une forte veine de métathéâtralité. À travers ce dernier aspect, Catherine II nous livre une intéressante réflexion sur la mode des proverbes au XVIIIe siècle et sur la manière d’en composer et d’en jouer.

The Théâtre de l’Hermitage is a collection of 23 plays, including 17 dramatic proverbs written by Catherine II of Russia and a few dignitaries at her court in 1787-1788, and performed at the Hermitage Theatre. I analyze the features of this collection, first placing it within the context of fashionable théâtre de société, then focusing on the reasons for choosing French as the language of composition and the dramatic proverb as the preferred genre. I proceed to study the distinctive characteristics of these plays: their criticism of social mores, aiming to provide moral education as well as entertainment; their playful intertextuality, whose frame of reference is French classical tradition from Molière to La Fontaine; and their strong metatheatrical streak. Through the latter feature, Catherine the Great offers us an insightful perspective into the popularity of dramatic proverbs in the 18th century, and into the way they were written and performed.

 

Pascale Mélani, « La troupe française du théâtre Mikhaïlovski dans la vie théâtrale russe au XIXe siècle »

Сet exposé examine le contexte dans lequel le théâtre français est apparu en Russie, les spécificités de son mode d’organisation, et s’efforce d’expliquer pourquoi l’existence d’une troupe française à Saint-Pétersbourg est devenu une nécessité quotidienne. On ne fréquentait pas seulement le Mikhaïlovski pour voir des pièces françaises récentes interprétées par d’excellents comédiens, mais aussi pour admirer la mode française, entendre les dernières nouvelles et anecdotes, se perfectionner en français. Pour le public pétersbourgeois, le Mikhaïlovski a joué le rôle d’une sorte de Maison de la culture française.

This article examines the context in which French theatre emerged in Russia, as well as its specific mode of organisation, in order to try and explain how the existence of a French theatre company in St Petersburg could become a daily necessity. One did not merely go to the Mikhailovsky to see recent French plays interpreted by distinguished actors, but also to admire French fashions, to hear the latest news and anecdotes, and to improve one’s French. For Petersburg audiences, the Mikhailovsky played the part of a sort of French Cultural institute.

 

Mechele Leon, « Before Jacques Copeau: the Théâtre français d’Amérique of New York, 1913-1916 »

L’histoire du théâtre en langue française aux États-Unis présente souvent la résidence de Jacques Copeau et de son Vieux-Colombier (1917-1919) comme l’origine du théâtre francophone à New York. En réalité, une troupe nommée le « Théâtre français d’Amérique » jouait en français à New York depuis 1913. Dans le cadre d’une étude sur la « version originale », cet article examine la fonction sociolinguistique de cette troupe, suggérant qu’elle permettait à une élite new-yorkaise d’atteindre à un certain degré de distinction (Bourdieu), en mettant à profit ses connaissances en langue française, et ses affiliations culturelles européennes.

Histories of French language theatre in America tend to treat the US residency of Jacques Copeau and the Vieux-Colombier (1917 to 1919) as the origin of French language theatre in New York. In fact, a company called the Théâtre français d’Amérique had been producing in French in New York since 1913. Responding to the theme of version originale, this paper examines the sociolinguistic function of this dedicated French language theatre company to suggest that the company allowed a community of New York social elites to extract a profit of distinction (Bourdieu) through sharing their competency in French and, by association, their high-culture European affiliations.

 

Béatrice Bottin, « Le théâtre espagnol alternatif : l’avènement d’un lieu de métissages polymorphes et synergiques »

À partir des années 2000, les scènes et les festivals de renommée internationale ont accueilli les dramaturges-metteurs en scène espagnols en leur offrant une reconnaissance méritée. La technique du surtitrage a non seulement contribué à éveiller la curiosité du public mais elle a également influencé et enrichi de manière considérable les créations alternatives proposées par Rodrigo García, Óscar Gómez Mata et Angélica Liddell, tout en favorisant leur diffusion. Or, la réception du public est-elle forcément identique dans tous les pays ? Les artistes adaptent-ils leurs spectacles au pays où ils se produisent ?

From the year 2000 onwards, internationally-renowned stages and festivals have opened up to the work of Spanish dramatists/directors, and offered them due recognition. Surtitles have not only contributed to arousing the audience’s interest, but they have also considerably influenced and enriched the alternative creations presented by Rodrigo García, Óscar Gómez Mata and Angélica Liddell, while encouraging their performances to travel. Yet we may wonder: is the reception of a given show necessarily the same in each country? Do the artists adapt the shows to the countries in which they are performed?

 

Anaïs Bonnier, « La pratique de la version multiple dans le monde théâtral néerlandophone »

Je propose d’aborder ici une pratique particulière, celle de la version multiple, c’est-à-dire la production d’un même spectacle (même mise en scène, mêmes acteurs et décors) dans plusieurs langues. À partir d’un corpus de trois spectacles, Outrage au public (De Koe, 2011), Casimir et Caroline (NT Gent, 2009) et Deux Voix (ZT Hollandia, 1997) qui ont connu des versions multiples, je tenterai de comprendre l’originalité et les enjeux de ce choix esthétique. Le choix de la version multiple se démarque autant par ses avantages que par ses inconvénients. La version multiple supprime la médiation du surtitrage, et focalise l’attention du spectateur sur la mise en scène. Pourtant, la transposition du spectacle n’est pas sans conséquences sur le rythme du jeu, l’aisance des acteurs, donc sur l’efficacité de la mise en scène. Pourquoi choisir la version multiple et quels liens cette pratique marginale entretient-elle avec l’espace culturel auquel elle se rattache ?

In this article, I approach a specific practice, which could be the theatre equivalent of cinematographic “multilinguals”, that is, the production of identical shows in multiple languages (same direction, same actors, same set). Looking at three shows – Outrage au public (De Koe, 2011), Casimir et Caroline (NT Gent, 2009) and Deux Voix (ZT Hollandia, 1997) – that have been staged in several languages with the same cast and crew, I shall try to understand the originality of this aesthetic choice, and to outline its stakes. The choice of creating multiple versions has its downsides as well as its upsides. It does away with the mediation of surtitles, focusing the audience’s attention on the staging. Nevertheless, the transposition has consequences on the rhythm of the play, on the actors, and thus on the efficiency of the performance. Why choose to create multiple versions, and what links does this marginal practice maintain with the cultural area in which it appears?

 

Suzanne Fernandez, « Le Silence et La Menzogna. Réflexion sur la réception française des spectacles de Pippo Delbono »

En France, Pippo Delbono présente ses spectacles parfois en français, comme Il Silenzio, et parfois en italien : c’est le cas de La Menzogna. Cette variation, d’une version en italien sur-titrée à une version traduite en français, entraîne une différence dans la réception du spectateur francophone. L’usage du français semble parfois contribuer à des effets de distanciation, ou encore à la naissance d’un sentiment de connivence entre salle et scène ; l’alternance entre français et italien permet de moduler la séparation entre l’espace réel et l’espace imaginaire.

In France, Pippo Delbono shows his work sometimes in French – which was the case for Il Silenzio – and sometimes in Italian – as with La Menzogna. This alternation between an Italian version with surtitles and a version translated into French tends to generate different responses from a francophone audience. The use of French may contribute to an impression of alienation, or again foster a sense of complicity with the audience; while switching from one language to the other enables the director to shape and adjust the border between real space and imaginary space.

Julie Vatain-Corfdir est maîtresse de conférences à la faculté des Lettres de Sorbonne Université. Spécialiste de théâtre anglophone et de traduction, elle est l’auteur de Traduire la lettre vive. Duos anglais sur la scène française (Peter Lang, 2012, prix SAES/AFEA). Ses autres publications…

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